Vision produit: partie 2/3
Dans cette seconde partie de la série consacrée à la vision produit, nous allons voir ensemble si vous avez besoin d’une vision produit, comment la construire et les biais à éviter.
Si vous avez manqué la première partie, qui vous apprendra ce qu’est une vision produit, c’est par ici !
Ai-je besoin d’une vision produit ?
Maintenant que vous savez à quoi sert une vision, vous devez être en capacité de répondre à la question de sa nécessité pour vous.
Ce que j’ai pu constater ces dernières années, c’est que la vision devient indispensable dès que le fondateur qui a construit le premier produit ne peut plus intervenir sur 100% des projets. Dans la majorité des cas, la vision produit n’est pas rédigée mais existe à la création de l’entreprise. Celle-ci est ensuite portée par un des fondateurs, mais plus on multiplie les projets, plus l’impact du fondateur sur ces projets se réduit, et la vision finit par s’étioler et ne plus guider l’ensemble des projets. Il est alors indispensable de la reconstruire.
Citons également les cas de changements stratégiques forts (parfois appelés pivots) : vous changez totalement de segment marché, ou d’utilisateur, ou de modèle d’affaire, ou de stratégie d’expansion. Cela mérite une revue de votre vision au plus vite.
Voici également quelques symptômes de l’absence de vision qui peuvent vous alerter : vos décisions produit ressemblent à des batailles d’opinions, vous avez peu de cohérence entre les décisions d’une équipe et d’une autre ou entre vos leaders produits, certains objectifs produits ne sont pas alignés entre eux…
Vous finirez par avoir un produit Frankenstein du fait du manque de cohérence et de dette à tous les niveaux (produit, technique, design), de l’inertie, des pertes de temps et d’argent. Bref, vous voyez mon point !
Comment construire la vision produit et qui doit y participer ?
Pour avoir vécu l’expérience dans deux positions (contributeur individuel la première fois, CPO la seconde), étonnamment les étapes diffèrent assez peu. Si vous faites partie du comité exécutif, vous ne pouvez pas implémenter une vision produit sans échanger et vous aligner avec vos pairs. Si vous êtes membre d’une équipe, vous devrez prévoir du temps d’alignement et de validation avec la direction de l’entreprise.
De la même façon, vos équipes — vente, produit, techniques, admin etc — ont une expérience terrain très forte et des points de vue complémentaires. Définir votre vision sans avoir l’occasion d’échanger avec eux serait une erreur.
Pour construire sa vision produit, il existe de nombreuses approches que je qualifierais de top down : vous partez d’une feuille blanche, déroulez une méthode plus ou moins élaborée qui permet d’aboutir à la vision. Parmi les pratiques que j’ai pu voir, on peut raconter l’histoire d’utilisateurs et utilisatrices, analyser le marché et la concurrence, identifier les forces et faiblesses, questionner sur le why de votre entreprise et votre mission. Dans la newsletter consacrée au sujet, vous verrez que certaines entreprises ont des techniques d’idéations assez poussées, telles que des design sprints appliqués aux visions ou des stratégie de type vision board.
Ces stratégies sont très bien documentées, mais présentent un défaut que j’ai pu rencontrer à plusieurs reprises : elles ne peuvent être mises en œuvre que dans des entreprises qui ressentent profondément le besoin d’avoir une vision produit au point d’y investir du temps, de l’énergie et de l’argent.
Une alternative que j’aime pratiquer et que je conseille souvent aux entreprises qui démarrent leur vision produit est une approche beaucoup plus bottom-up.
L’idée de cette approche est d’observer ce qu’on fait à date dans l’entreprise, ce qu’on a envie de faire dans un futur proche, et d’essayer de remonter à une vision claire. Il n’existe aucune entreprise qui n’ait pas une liste d’idées et d’envies longue comme le bras, donc le syndrome de la feuille blanche est totalement impossible avec cette approche. Vous allez passer en revue les backlogs, les feuilles de routes, les présentations internes, les sorties produit des 2 dernières années : tout. En complément, vous pouvez rassembler tout ce que l’on connait du marché, des utilisateurs, des performances. Même si on n’a rien de mieux pour se projeter dans l’avenir qu’un budget, on peut déjà s’en servir comme base de travail.
En regroupant et catégorisant les sujets, on va petit à petit être en capacité de déterminer des grands axes stratégiques. Par exemple, chez Yousign, nous avons pu remonter neuf axes stratégiques après avoir listé l’ensemble des choses que l’on souhaitait réaliser au cours des prochaines années. Et nous ne travaillons que sur cinq à la fois (plus de serait une dispersion, quelle que soit la taille de l’entreprise).
Enfin, la lecture de ces axes stratégiques et des informations que vous avez pu accumuler va vous permettre de produire une ébauche de vision. Dans cette phase, posez-vous un maximum de questions sur les termes employés. Faute de mieux, proposez des options et des versions différentes, vous pourrez toujours faire évoluer votre vision ultérieurement.
C’est le moment de ne SURTOUT PAS tomber dans ce que j’appelle le syndrome Steve Jobs : à force d’entendre parler des visions produit révolutionnaires, la plupart des leaders produits sont complexés et considèrent désormais que leur mission est de produire la vision parfaite. J’ai été dans ce cas pendant plusieurs années ! L’approche que je vous propose permet de surmonter ce complexe : partagez un brouillon au sein du management (Comité exécutif, de direction etc) pour avoir des échanges sur une base déjà créée. D’expérience, il est bien plus simple d’atterrir à une vision en challengeant une proposition que de partir d’une feuille blanche. Que vous soyez membre de la direction ou contributeur individuel, vous, cet échange avec vos pairs ou vos supérieurs sera une étape clé.
Quelles sont les erreurs (ou biais) à éviter ?
L’erreur la plus récurrente est de croire que la vision produit est la vision de l’équipe produit : c’est totalement faux, même dans des entreprises où le produit n’est pas ce qui est commercialisé. En tant que membre d’une équipe produit, vous serez bien souvent la première personne à sentir les effets du manque d’une vision produit. Vous serez aussi les plus à même de catalyser toute la réflexion et discussion autour de cette vision. Mais il ne s’agit pas de la vision de l’équipe produit : cet objet appartient à l’ensemble de l’entreprise et doit aider à guider ses décisions. Si vous pensez que cette vision est uniquement celle de votre équipe, vous n’arriverez pas à la rendre utilisable dans vos prises de décisions.
On trouve ensuite une gamme d’erreurs assez variée, que je vais vous lister ci-dessous avec quelques astuces pour les surmonter :
- Vouloir une vision parfaite dès le début, avant de la partager. Mieux vaut une vision un peu brouillonne que pas de brouillon. Il est toujours extrêmement compliqué d’échanger sur ces sujets sans une base de départ. En voulant travailler votre vision seul•e avant de la partager, vous prenez le risque de tomber amoureux de votre vision et de devenir imperméable à la critique. Cette vision n’est pas la vôtre/ C’est celle de vos équipes et elle ne peut être construite que par des échanges réguliers.
- Créer une vision 100% inspirationnelle mais qui ne filtre pas ce qui va être réalisé. Par exemple chez Yousign, la vision explique ce que nous sommes (une plateforme de contractualisation) et ce qu’est notre différenciant (la simplicité de notre expérience). Se contenter d’une phrase trop inspirante (“nous serons la meilleure plateforme du <insérer votre métier>”) ne permettra pas aux équipes de travailler avec.
- Considérer sa vision comme une oeuvre d’art : c’est tout le contraire, il s’agit d’un objet vivant, il faut être à l’aise pour la faire évoluer. A ce sujet d’ailleurs, je vous recommande de la ré-évaluer une fois par an. Elle ne devrait pas changer du tout au tout chaque année, mais vous aurez probablement beaucoup appris en un an et ce rituel vous permettra de vous assurer que votre vision est toujours à jour.
- Ne pas commencer à travailler la vision parce qu’on n’aurait pas l’appui du top management : cette erreur est la plus bloquante pour de nombreuses équipes. En 10 ans, je n’ai jamais été dans une organisation qui m’a explicitement demandé de construire une vision produit — je n’ai peut être pas eu de chance, mais des échanges avec la communauté produit, j’ai l’impression que c’est le standard. Les CEOs ont un tel panel d’activités qu’ils ne peuvent penser à construire cette vision, surtout dans une entreprise en forte croissance. Et c’est normal que l’impulsion vienne de l’équipe produit.Il ne tient qu’à vous de commencer à travailler une vision produit, même sans l’accord de personne, pour susciter l’intérêt et ensuite avoir carte blanche pour la travailler.
Vous connaissez maintenant un moyen de créer une vision produit et les biais à éviter pour le faire. Dans la prochaine partie, nous verrons comment la vision s’inscrit dans les grands concepts de l’entreprise (feuille de route, mission…), la forme que peut prendre votre vision et comment l’utiliser au quotidien.